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Récit : La chute du fort d'Eben-emael:

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Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Empty Récit : La chute du fort d'Eben-emael:

Message par steiner61 Dim 20 Oct - 10:19

1e partie :
Le 10 mai 1940, à 04h35 du matin, sans ultimatum ni déclaration de guerre, les troupes du IIIe Reich franchissent la frontière Belge, près du village d’Eben-Emael. L’événement met fin à la « drôle de guerre » commencée le 3 septembre 1939, quand la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne, suite à l'invasion de la Pologne.
Si pour la population belge la surprise est totale, pour le général Maurice Gamelin, général en chef des Forces armées françaises, on assistait ici à la répétition du plan allemand de 1914, mais en plus étendu, puisque englobant les Pays-Bas. Exactement comme il l’avait envisagé. Seulement, en ce matin de mai 1940, ni les Alliés, ni le général Gamelin ne savent qu’ils sont victimes de la plus grande manœuvre de déception* de ce début de seconde guerre mondiale.

L’affaire de Mechelen : une opportunité à saisir.
Tout débute le 10 janvier 1940. Ce jour-là, l'atterrissage forcé d'un avion de la Luftwaffe à Mechelen sur Meuse en Belgique, permet aux autorités belges de saisir des documents secrets dont était porteur un officier allemand. Ces documents révèlent aux Alliés, que le grand état-major de la Wehrmacht (OKW) envisage une attaque du front Ouest par une manœuvre d'enveloppement des armées Alliées par le nord, c’est-à-dire par la Belgique : en quelque sorte une reprise du plan Schlieffen3 de 1914. Or, le haut commandement français envisageait une répétition du plan allemand de 1914. Cette saisie de documents confirma donc cette stratégie envisagée par le général Gamelin et son état-major. Aussi, ces derniers décidèrent d’engager les meilleures et les plus mobiles des divisions franco-britanniques en Belgique.
Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi les Allemands, qui ne pouvaient plus compter sur l’effet de surprise, ont-ils malgré tout attaqué la Belgique, qui plus est dans la région de « l’imprenable fort d’Eben-Emael », alors même qu’ils se savaient attendus ?

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Gzonzo10
Général Gamelin, chef d'état major
de l'armée Française


Pour les Alliés, la réponse semble alors évidente ! Ce compartiment de terrain revêt une importance stratégique, puisque ses axes routiers donnent accès au plateau Hesbignon, qui lui-même conduit au cœur de la Belgique et à Paris. Dès la fin du 19ème siècle, les penseurs militaires décrivaient déjà le territoire de la Belgique comme étant le chemin le plus facile pour se rendre de Berlin à Paris ; ceci, en raison de caractéristiques géographiques du terrain, favorables à une progression militaire. Conscient de cette réalité le gouvernement belge décida de faire construire des ceintures de forts autour des villes stratégiques de Namur et de Liège. Cependant, le compartiment de terrain entre Visé et la frontière néerlandaise baptisé la « troué de Visé » n’était pas bien défendu par les forts liégeois. Cela apparut comme une grave erreur, car lors de l’attaque allemande d’août 1914, l’aile droite de l’armée allemande entra en Belgique justement par la « troué de Visé », près du village d’Eben-Emael… Aussi, lorsqu’en 1926 une commission militaire examina la nécessité de moderniser les forts liégeois, celle-ci décida de faire construire, entre autres : un fort à proximité d’Eben-Emael pour éliminer ce point faible apparu en 1914.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Positi12

Pour le haut commandement Allemand, la réalité était toute autre ! Avec le recul, la perte des plans secrets offrait l’opportunité de construire une manœuvre de déception de grande ampleur, destinée à masquer l’axe d’effort de leur nouveau plan d’opération : le plan Manstein, baptisé « Fall gelb » (plan jaune).
Le « plan jaune » prenait le contre-pied de la théorie précédente. Il préconisait une attaque en force venue, non plus du nord, mais du centre. Il partait de l'hypothèse qu'il fallait surprendre les Alliés au point faible de leur dispositif. Dans ces conditions, le pivot de l'offensive ne pouvait se trouver qu'à travers le massif boisé des Ardennes, région défendue par des unités françaises de réservistes sous-équipés et lieu précis où l'on avait arrêté la construction de la ligne Maginot. Ainsi, dans le « plan jaune » le groupe d’armées B devait exécuter une « manœuvre de déception » consistant à envahir la Belgique et les Pays-Bas, pour attirer les troupes alliées en Belgique. Tandis que le groupe d'armées A, constitué des blindés, devait percer sur la Meuse entre Sedan et Namur en franchissant les Ardennes, puis poursuivre sa marche vers la côte. Ce nouveau plan, par sa hardiesse même et sa logique tant tactique que stratégique, enthousiasma Hitler qui l'imposa à un OKW réticent.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Gzonzo11
Général Manstein, commandant le
grand état-major de la Wehrmacht (OKW)


Or, pour le groupe d’armées B la réussite de sa manœuvre de déception passait par un succès à Eben-Emael ! En effet, une percée rapide en Belgique exigeait de neutraliser le fort d’Eben-Emael et de s’emparer des ponts du canal Albert, intacts. Toutefois, le dispositif défensif belge ne permettait pas d’atteindre ces objectifs par des méthodes classiques. Aussi, les services de renseignements allemands cherchèrent-ils des failles dans les défenses d’Eben-Emael. Ils constatèrent que faute d’accord avec les Pays-Bas pour placer des observateurs belges à la frontière germano-néerlandaise, le couloir du Limbourg constituait une sorte de rideau en avant du front belge. En d’autres termes, à Eben-Emael les troupes belges étaient aveugles, alors même que la destruction des ponts sur le canal Albert, par l’armée belge, dépendait de la connaissance que celle-ci aurait de la violation de la frontière néerlandaise par l’Allemagne. Mais c’est surtout la faiblesse antiaérienne du fort, observée par les services de renseignement allemands, qui allait être déterminante quant au choix de la tactique à adopter en vue de la neutralisation de l’ouvrage. En effet, l’une des faiblesses du fort était son toit, qui n’était pas assez défendue : « Aucune mine, ni obstacle antiaérien, peu de barbelés, pas de protection directe des casemates contre des attaques d'infanterie. Cet espace servait de terrain de football aux soldats du fort, qui avaient même lancés une pétition pour empêcher qu’il soit miné. »
Le commandement allemand décida donc d'utiliser des planeurs de transport afin de s'approcher silencieusement et de bénéficier de l'effet de surprise. C'est la première fois que des planeurs allaient être utilisés comme arme de guerre.

*Une manœuvre de déception consiste à induire l'ennemi en erreur, grâce à des truquages, des déformations de la réalité, ou des falsifications, en vue de l'inciter à réagir d'une manière préjudiciable à ses propres intérêts.


Dernière édition par steiner61 le Mer 20 Nov - 20:11, édité 1 fois
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Message par steiner61 Dim 20 Oct - 10:30

2e partie :
Les préparatifs :
Pour bénéficier de cet effet de surprise, il était indispensable que les planeurs atterrissent au moment même où l'armée allemande traverserait la frontière. La prise d'Eben-Emael et des ponts sur le canal Albert serait confiée au groupe d'assaut « Koch » de la 7e Flieger-Division (division aéroportée). Ce groupe avait pour objectif de s'emparer du fort d'Eben-Emael et des ponts de Veldwezelt, Vroenhoven et kanne.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Positi13

Les hommes affectés à l'opération devaient suivre un entraînement intensif. Les exercices débutent dès le 5 novembre 1939. Les parachutistes allemands sont envoyés à Hagenow, dans le Mecklembourg, puis par la suite à Hildesheim, en Basse-Saxe. Ils seront isolés du monde extérieur jusqu'à l'accomplissement de leur mission, dont seul Koch connaît le réel objectif. Dans le plus grand secret, ils s’entrainent au maniement de d’explosifs, dont les toutes nouvelles charges creuses, ainsi qu'à s’extraire rapidement des planeurs dès qu'ils s'immobilisent, tout en transportant armes et matériel. Les pilotes des planeurs apprennent à décoller en pleine nuit et à atterrir au petit jour ; leur précision au moment de l'assaut sera de l'ordre de 20 mètres !

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Fallsc10
Fallschirmjager en 1940.

Les forces d'assaut sont divisées en quatre groupes. Chacun d'eux reçoit un nom de code. Le groupe « acier », commandé par l'Oberleutnant Altmann, est chargé de la prise du pont de Veldwezelt. Le groupe «béton », sous les ordres de l'Oberleutnant Schacht, reçoit la mission de s'emparer du pont de Vroenhoven. Le pont de kanne est la cible du groupe « fer » du Leutnant Schächter. Enfin, le groupe « Granit » de l'Oberleutnant Rudolf Witzig devra neutraliser le fort d'Eben-Emael. Il est également prévu de larguer des mannequins sur les arrières belges afin de déconcerter l'adversaire et de créer des diversions.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Rudolp11
L'Oberleutnant Rudolf Witzig commande le groupe "Granit",
chargé de neutraliser le fort d'Eben-Emael.


Le groupe « Granit » est composé de 85 hommes. Il s'agit de la seule unité parachutée à être exclusivement composée de pionniers, tous volontaires. Sa mission est particulièrement importante : attaquer le fort d'Eben-Emael et neutraliser les batteries d'artillerie susceptibles de freiner l'avancée allemande. Le groupe d’assaut « Granit »  a tout d'abord pour mission de neutraliser toutes les armes d'infanterie et les canons antiaériens situés à l'extérieur, puis l'artillerie, surtout les pièces pointées vers le nord – vers les ponts de Veldwezelt, Vroenhoven et Canne. La forteresse sera aveuglée en détruisant les cloches d'observation. Ces objectifs remplis, les hommes de Witzig devront consolider leurs positions et continuer de harceler la garnison. Ils ont ainsi l'ordre de briser toute résistance et de tenir jusqu'à la relève qui, d'après le planning établi, doit arriver sur place dans les trois heures suivant l'attaque.
Pour accomplir sa mission, le groupe de Witzig est doté de onze planeurs DFS230, capables de transporter 1150 kg de chargement, soit huit ou neuf hommes avec leur équipement. Le détachement est ainsi divisé en onze équipes. Chacune d'elles doit s'emparer de deux emplacements ou casemates et, en plus, être prête à relever toute équipe mise hors de combat. Il est prévu que les pilotes des planeurs participent aussi au combat après s’être posés. Outre les lance-flammes et les échelles d'assaut démontables, l'équipement des parachutistes comporte essentiellement deux tonnes et demie d'explosifs, principalement des charges creuses, employés pour la première fois à Eben-Emael pour perforer les tourelles blindées.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Dfs23011
Planeur DFS 230.

L'Oberleutnant Rudolf Witzig nous apporte des précisions sur la préparation de son groupe : « Pendant six mois, on avait donné la priorité absolue à cette opération. Le secret était vital, car notre réussite dépendait de l'effet de surprise provoqué par la soudaineté de l'attaque. Nous en avions été informés et des mesures rigoureuses ont parfois dû être prises ; nos exercices, les détails d'équipement, la tactique et les objectifs devaient être tenus secrets ; enfin, la plupart d'entre nous ne connurent le nom de la forteresse qu'après sa capture. Nous ne pouvions ni prendre de permission, ni sortir, ni même nous mêler aux hommes des autres unités. Le détachement de pionniers était continuellement déplacé, sous des noms différents, et nos uniformes et insignes de parachutistes furent abandonnés. Même les exercices de planeurs [...] se firent à très petite échelle. Les planeurs furent ensuite démontés et transportés à Cologne dans des camions de déménagement, puis remontés sous les hangars protégés par des réseaux de barbelés et gardés par nos propres hommes. [...] Après avoir exploité toutes les installations de Hildesheim, le détachement s'entraîna à l'attaque d'ouvrages puissamment défendus dans le massif des Sudètes. Puis il effectua des exercices de sabotage dans la zone fortifiée de Gleiwitz. Des conférences à l'école du génie de Karlshorst, nous initièrent au principe de construction des forteresses. »

Les Allemands prirent soin de collecter des renseignements sur le fort d'Eben-Emael. Les travaux de construction du fort ont été suivis avec attention. Les publications militaires et civiles ont été passées à la loupe, les déserteurs belges originaires des cantons rédimés (c'est-à-dire allemands jusqu'en 1918) ont été interrogés avec soin et des photos aériennes du secteur ont été analysées en grand nombre. Les Allemands surestiment la puissance du fort. L'OKW ignore que certaines coupoles d'Eben-Emael sont factices et ils ne savent rien de l’aménagement intérieur du fort.


Dernière édition par steiner61 le Dim 20 Oct - 18:04, édité 1 fois
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Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Empty Re: Récit : La chute du fort d'Eben-emael:

Message par steiner61 Dim 20 Oct - 17:56

3e Partie :
Le fort d’Eben emael, un colosse aux pieds d’argile.
Construit de 1932 à 1935 afin de défendre la « trouée de Visé », le fort d'Eben-Emael a la forme générale d'un triangle isocèle. Il occupe une surface de près de 75 ha et sa superstructure s'élève à 65 mètres au-dessus du canal Albert. Le fort est constitué d'un réseau serré d'emplacements d'artillerie et d'infanterie pouvant se couvrir mutuellement, doté, sur tous les côtés, de défenses extérieures, soigneusement construites. Une petite rivière, le Geer, et sa pleine inondable bordent la pointe Ouest de l'ouvrage. L'approche par le sud est interdite par un fossé antichar, avec mur vertical escarpé flanqué de cinq casemates, dont une sert de portique. Le versant Est est protégé par le canal Albert. Son approche est battue par deux casemates prenant en enfilade le chemin de halage. La plupart des casernements sont enterrés profondément sur deux niveaux tandis que l'armement affleure en surface ou sur les flancs. Habilement disposées sur le terrain et parfaitement camouflées, les casemates sont soustraites à la vue de l'ennemi. Celles-ci sont en béton armé, conçu pour résister à l'impact d'un projectile de 500 kg. L'ensemble du fort a un niveau de protection comparable à celui des plus puissants ouvrages de la ligne Maginot.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Plan_e12

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Le_can11
Le canal Albert couvre le flanc EST du fort.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Casema10
Deux casemates couvrent le chemin de halage du canal Albert.

Eben-Emael dispose d'un armement d'excellente qualité. Celui-ci est réparti dans deux batteries. La «Batterie 1», destinée aux tirs éloignés, est capable de pilonner la région sur un rayon de 17,5 kilomètres. Une coupole blindée contenant deux pièces de 120 mm couvre les 360° d'azimut. En raison de son poids, elle n'est pas éclipsable. Deux autres coupoles, entièrement rotatives et à éclipse, contiennent deux pièces de 75 mm d'une portée de 11 kilomètres. À cela s'ajoutent quatre casemates à trois canons de 75 mm d'une portée de 11 kilomètres et d'un débattement en azimut de 70°. Deux sont dirigées vers le sud portant les noms de « Visé 1 » et « Visé 2 ». Les deux autres sont orientées vers le nord et sont baptisées «Maastricht 1» et «Maastricht 2». La « Batterie 1 » abrite au total 18 tubes de portée moyenne. La « Batterie 2 » est dévolue à la défense rapprochée de l'ouvrage.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Tourel10
Tourelle de 120 mm. A cause de leur poids, ces tourelles ne sont pas à éclipse.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Tourel11
Tourelle de 75 mm, à éclipse.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Casema11
Casemate Maastricht 1. Elle est armée de trois pièces de 75 mm.

Les blocs I à VI couvrent le fossé antichar par des tirs de flanquement. Le long du canal Albert, les positions dites « Canal Nord » et « Canal Sud » donnent sur la berge et empêchent toute traversée devant le fort. Chaque casemate dispose d'une cloche d'observation, de mitrailleuses, d'un projecteur et d'un ou deux canons antichars de 47 mm. Deux blocs à trois mitrailleuses assurent la couverture partielle de la superstructure. Ils sont dénommés « Mi-nord » et « Mi-sud ». Le bloc II prend sous son feu un fossé rempli d'eau bordant la pointe Ouest de l'ouvrage.
La disposition intérieure de la forteresse est répartie en deux niveaux. L'étage intermédiaire, profond de 40 mètres, est dédié au commandement. Les services de soutien et la caserne sont installés à 60 mètres sous terre, au niveau de l'entrée principale donnant sur le fond de la vallée du Geer. Toutes les pièces, à l'exception de celles du bloc d'entrée, sont accessibles uniquement via l'étage intermédiaire, pour pouvoir rester opérationnelles même si le niveau des services est aux mains de l'ennemi.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Cloche10
Cloche d'observation.

Deux cloches d'observation sont installées sur la superstructure, « Eben 2 » sur « Mi-nord » et « Eben 3 » sur « Maastricht 2 ». Une autre cloche d'observation, « Eben 1 », se trouve sur le « Bloc 01 », au sud du fort, sur les berges du canal. Six postes d'observation avancés, situés à l'extérieur du fort, sont reliés à l'ouvrage par lignes téléphoniques. Ils permettent de transmettre des renseignements à longue distance. Il s'agit des postes de Loen, « Caster 1 », « Caster 2 », « Opkanne », « Vroenhoven » et « Briegden ». Le fort est relié par radio à l'état-major du régiment de forteresse de Liège. L'abri « 0 », défendant le pont de Canne, et l'abri « PL 19 », sur la colline de Hallembaye, dépendent également d'Eben-Emael. Enfin, trois fausses coupoles d'un diamètre de six mètres font croire que le fort est encore plus puissant qu'en réalité.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Intzor10
Galerie du fort. Celui ci comprend deux niveaux. Le premier niveau ce trouve
à 40 mètres sous terre et le deuxième niveau se trouve à 60 mètres.


Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Entrzo11
Entrée du fort.
Si le fort d'Eben-Emael semble être un puissant ouvrage, il souffre de nombreux défauts. Tout d'abord, l'état-major belge n'envisage qu'une attaque terrestre. Il ne tient pas compte de l'éventualité d'une attaque venant du ciel. La défense antiaérienne est ainsi limitée à cinq mitrailleuses antiaériennes positionnées au sud-est du massif, entre la coupole Nord et la coupole Sud, mais il n'est pas prévu de s'en servir pour saturer le terrain. La superstructure n'est pas considérée comme pouvant être investie par l'ennemi. Les blocs mitrailleurs ne sont pas pourvus de fossés « diamant » de type antipersonnel, ni même de protection rapproché tel que des mines ou un réseau de barbelés. Le fort est conçu pour que chaque élément débouchant par voie terrestre, soit pris sous le feu croisé des autres bunkers. Toutefois, une crête s'étend de la coupole Nord à celle abritant les canons de 120 mm, créant de ce fait un angle mort. Le versant donnant sur la vallée du Geer et son fossé aquatique au-dessus du bloc II n'est battu par aucune arme.

Le 10 mai 1940, la 7e division d'infanterie belge, commandée par le lieutenant-général van Trooyen, est en position autour du fort, le long du canal. Son 2e régiment de carabiniers est chargé de la défense des ponts de Veldwezelt et de Briegden. Le 18e régiment d'infanterie tient celui de Vroenhoven. Le 2e régiment de grenadiers défend celui de Canne. Mais les effectifs sont incomplets : 15 % des hommes sont en congé agricole. Trop fortement étiré sur 18 kilomètres le long du canal Albert, van Trooyen est obligé de mettre en première ligne ses trois régiments et son bataillon d'engins. Il ne dispose ainsi d'aucune réserve. Dépourvue d'artillerie organique, la 7e division se voit attribuer le 20e régiment d'artillerie du colonel Rigano, cédé par la 1re division de chasseurs ardennais, qui dispose de 16 canons de 75 mm et de 24 pièces de 105 mm. Pour ce qui est des blindés, la 7e division d'infanterie belge ne dispose que de sa compagnie de canons anti-chars de 47 mm montés sur chenillettes T13 et de son escadron cycliste qui renforce le 2e régiment de grenadiers. Les ponts ont été minés et les charges reliées à des abris bétonnés dont les portes ne sont pas blindées.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Major_11
Major Jottrand commandant le fort d'Eben Emael.

Le fort d'Eben-Emael est sous le commandement du major Jottrand. Celui-ci n'exerce son commandement que depuis août 1939. Plus administratif que meneur d’hommes, il a des difficultés à imposer son autorité, ce qui entraîne un certain laxisme chez les soldats de la garnison. Celle-ci est composée de deux unités de 500 hommes se relayant chaque semaine, tandis que 200 hommes sont affectés aux tâches de soutien. La relève à lieu tous les vendredis. L'unité au repos s'installe alors à Wonck, à quatre kilomètres de là. Les deux tiers de l'encadrement est composé de réservistes. Le moral des troupes est faible. À l'époque, l'affectation à un régiment de forteresse rebute plus d'un militaire. Les hommes se plaisent rarement dans la lugubre forteresse et les mutations sont nombreuses, l'absentéisme important.

La formation de la garnison laisse aussi à désirer. Les pièces principales n'ont jamais tiré d'obus réel. Considérés comme artilleurs, les hommes ne sont pas entraînes au combat d'infanterie. Ces carences se feront ressentir lorsqu'il s'agira de repousser les assauts de Fallschirmjäger. Le nombre des officiers, 22 hommes, est insuffisant. Il en faudrait 32 pour pouvoir poster un officier dans chaque ouvrage de la superstructure, et diriger les opérations de tir, veiller au respect des consignes et prendre immédiatement les décisions qui s'imposent. Ainsi, l'organisation au combat se révélera hyper centralisée. Des sous-officiers sont laissés seuls aux postes de combat et reçoivent leurs instructions depuis le poste directeur de tir. Lors de l'attaque, l'absence d'officier dans les différentes casemates aura un effet désastreux.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Artill10
Soldats Belges.

Eben-Emael ne dispose d'aucun détachement d'infanterie pouvant combattre sur le glacis. Par conséquent, ce sont les artilleurs qui sont censés contre-attaquer, si l’ennemi occupe le dessus de l’ouvrage. Le commandement belge compte plus sur l’appui feu des autres forts et le tir des armes à tirs rapides pour répondre à une attaque qu'il considère comme hautement improbable. La 7e division d'infanterie apportera son soutien, mais aucune liaison radio entre le fort et cette unité n'existe. Les ordres devront être relayés par le quartier général du corps d'armée...
Enfin, d'un point de vue technique, plusieurs éléments vont gêner les défenseurs au moment de l'attaque. La coupole de 120 mm ne dispose pas de périscope. Il n'y a pas d'explosif en quantité suffisante pour ébouler les galeries et isoler les secteurs pris par l'ennemi. Le fort est en travaux, le chauffage est en cours d'installation et les ouvriers travaillent sur le réseau électrique : un nouveau système de ventilation doit être mis en service vers la mi-mai et l'ancien, prévu pour servir de système de secours, est en panne... Plusieurs porte-voix assurant la communication entre les guetteurs et les mitrailleurs ou artilleurs ne sont pas installés, et les téléphones internes manquent.
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Message par steiner61 Ven 25 Oct - 13:34

4e Partie :
L’assaut des diables verts :

Le 9 mai 1940 vers 15 heures, après six mois d'isolement total, le détachement « Granit » est mis en alerte. Après avoir préparé leur paquetage, les hommes de Witzig quittent en camions la caserne Hilden de Düsseldorf pour l'aérodrome de Köln-Ostheim. Une fois sur place, les Fallschirmjäger reçoivent un dernier briefing tandis que des photos aériennes de l'objectif, au format de cartes postales, sont remises aux combattants afin de leur permettre de s'orienter. Le soir, les appareils de remorquage sont disposés sur les pistes d'envol et les hommes prennent place dans leurs planeurs. Le décollage, prévu à 4h30 précise, a été calculé pour que les quatre groupes d'assaut atterrissent en même temps, à 5h25, sur les ponts et sur Eben-Emael, cinq minutes avant que les troupes Allemandes franchissent la frontière.
Dans l'obscurité totale, les planeurs s'envolent. Chaque planeur DFS 230 est tracté par un Junkers Ju 52, en raison de la charge importante transportée.

L'Oberfeldwebel Helmut Wenzel décrit son vol : « Le vol depuis Aix-la-Chapelle se passe sans incident. L'aube se lève et nous reconnaissons à temps le fort. Nous arrivons un peu trop haut. Les autres planeurs sont à notre hauteur. Les servants des mitrailleuses antiaériennes ennemis ne dorment apparemment pas, on nous tire dessus, alors que nous arrivons sur le fort. Le Leutnant Bräutigam, mon chef de planeur perd l'orientation, mais j'ai déjà repéré notre objectif et, à la voix, je dirige le vol. En arrivant près du sol, j'arrache le cockpit et, arme au poing, me tiens prêt à sauter. Notre planeur atterrit en deuxième ou troisième position à quelque 80 m de notre objectif. L’atterrissage est rude, je me cogne le nez qui se met à saigner abondamment. Le planeur à peine arrêté, nous nous élançons vers la casemate. »

Les appareils de remorquage libèrent les planeurs à une altitude d'environ 2600 mètres. Les planeurs effectuent un vol plané d'une vingtaine de kilomètres. Au cours de leur approche, ils se heurtent à des tirs de mitrailleuses antiaériennes. Neuf des onze planeurs du groupe « Granit » atterrissent à 4h15, heure belge, sur le toit du fort. Les appareils du Feldwebel Maier (équipe n°2) et de Witzig (équipe n°11) se sont perdus pendant le vol. Celui de Witzig voit son câble de remorquage céder à hauteur de Cologne. Il parvient à atterrir en Allemagne. Witzig arrivera finalement à Eben-Emael avec plus de deux heures de retard grâce à l'aide précieuse d'un Junkers Ju 52. L'équipage de l'autre appareil est moins chanceux. Le pilote de l'avion remorqueur donne l'ordre au DFS 230 de se décrocher avant l'objectif. Les parachutistes se battront autour du pont de kanne et feront 120 prisonniers, malgré la mort de leur chef, tué au combat. La perte des deux planeurs réduit fortement les effectifs engagés. L'officier le plus élevé en grade est alors le Leutnant Egon Delica. Il dispose de 69 sous-officiers et hommes de troupe.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Alerte10
La garnison du fort est mise en alerte vers minuit.


Du côté belge, l'alerte est déclenchée vers minuit. Le maréchal des logis Victor Delcourt, affecté au bureau de tir des casemates « Maastricht », raconte : « Je suis réveillé entre 0h30 et 0h45 par le chef de poste. Le temps de quitter mon pyjama, je remplis ma première tâche : faire lever la troupe. Il y a 19 chambrées de 20 hommes. Ensuite, je prends mon poste au bureau de tir. Notre effectif prévu est de huit hommes : deux officiers, deux sous-officiers pour calculer les coordonnées de tir, deux correcteurs devant intégrer les paramètres de tir liés à la météo et deux téléphonistes-signaleurs en poste pour transmettre les ordres en surface vers les casemates « Maastricht 1 » et « 2 ». Je vérifie si les postes de tir sont bien occupés, c'est le cas. Dans le couloir, le personnel se dirige vers l'entrée du fort pour dégager les locaux du temps de paix. Les observateurs de l'autre côté de la tranchée de Caster signalent le passage de nombreux avions. »

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Alerte11
Vers 1 heure du matin, la plupart des postes de combat du fort, sont occupés.

Vers 1 heure du matin, les postes de combat principaux sont occupés par leurs servants. Le major Jottrand se charge d'évacuer les baraquements administratifs du temps de paix en vue de leur destruction, et de mettre en place des barbelés et chevaux de frise dans les chicanes, afin de fermer complètement les accès. Le commandant affecte à cette tâche le personnel des casemates « Mi-nord » et « Mi-sud ». Cette décision a pour conséquence de dégarnir les seules défenses rapprochées situées sur la superstructure. La procédure prévoit d'alerter les hommes de la garnison logés aux alentours par 20 coups de canon tirés à blanc dans les quatre directions par la coupole Nord, mais son personnel est également occupé au déménagement. Après plus d'une heure de retard, les servants de la coupole Sud reçoivent l'ordre de tirer les 20 coups de canon. Mais au moment de tirer l'alerte, ils se rendent compte que leurs pièces sont encore équipées de percuteurs d’exercice. Il faut attendre l'intervention d'un armurier et ce n'est finalement qu'à 4h15 que la garnison à l'extérieur du fort est alertée, c'est-à-dire au moment de l’atterrissage des planeurs. Les hommes qui n'ont pas été prévenus via des estafettes seront ainsi dans l'incapacité de prendre leur poste dans l'ouvrage.
Selon la procédure d'alerte, tous les postes de combat doivent être occupés dans la demi-heure après la réception du code. Il s'avère toutefois que le fort n'est pas en état de combattre au moment de l'assaut allemand, qui a lieu plus de trois heures après sa mise en alerte. Ceci s'explique par l'impréparation et le manque d'entraînement de la garnison.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Assaut10
Venant du Sud, les neufs planeurs descendent sans être inquiétés.

Les neuf planeurs allemands arrivent par le sud. Dès leur atterrissage, ils doivent aveugler la garnison et mettre hors d'état de nuire les mitrailleuses battant la superstructure. Des observateurs signalent des avions en approche. Alors que les appareils survolent la forteresse, les hommes affectés aux pièces antiaériennes reçoivent l'ordre de n'ouvrir le feu que lorsqu'ils seront certains de la nationalité des pilotes. Les minutes passent et les planeurs descendent tranquillement sans être inquiétés. Sans plus attendre l'ordre de l'intérieur, l'ordre est donné de déclencher le feu. Le soldat belge Antoine, au service de l'une des pièces, témoigne : « Les balles traçantes fusent des cinq pièces, mais c'est peine perdue, plusieurs planeurs piquent littéralement sur nous et nous sommes encerclés. L'un d'eux, en virant, accroche avec son aile notre mitrailleuse et la culbute. Les appareils n'ont même pas touché terre que les portes sont arrachées et que les occupants, comme de véritables diables sortant de leurs boîtes, nous font subir un feu d'enfer d'armes automatiques, lancent des grenades. [...] Nous comptons à ce moment trois tués et quatre blessés. Nous sommes encore une douzaine, terrés au fond de nos trous. Nos mitrailleuses anti-aériennes ne nous sont plus d'aucune utilité. Pour pouvoir s'en servir en tir terrestre, nous sommes à peu près la moitié du buste hors du trou, donc une cible idéale pour l'adversaire qui lui est couché à même le sol et, au moindre mouvement de notre part, à hauteur du parapet, ouvre le feu. Je tiens à souligner que nous ne disposons que de nos carabines sans utilité pour le même motif, même pas une grenade pour tenter de nous dégager ; celles-ci doivent nous être fournies après, ainsi que le ravitaillement. [...] Ne pouvant plus tenir dans de telles conditions, l'adjudant, lui-même blessé à l'abdomen, nous crie de nous rendre. L'adversaire nous fait lever les bras, nous donne l'ordre de jeter tout ce que nous possédons en fait d'armes et nous dit en français « vous êtes prisonniers, promettez-nous de vous tenir tranquilles et il ne vous sera fait aucun mal. »

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Henri_10
A 4h15, les planeurs atterrissent, pour la plupart, à proximités de leurs objectifs.

Les parachutistes allemands arrivent donc au sol sans essuyer la moindre perte. Il est alors 4h15. La majorité des planeurs ont pu atterrir à proximité de leur cible. L'objectif principal de l'opération est de réduire au silence toutes les pièces pouvant tirer sur Maastricht et la tête de pont de la 4. Panzer-Division. Dès le début de l'attaque, les ouvrages « Maastricht 1 » et « 2 » ainsi que les coupoles rotatives sont des cibles prioritaires. Pendant ce temps, les blocs de mitrailleuses sur la superstructure sont réduits au silence. Après l'atterrissage et la capture des mitrailleuses antiaériennes, les Fallschirmjäger s'attaquent à « Maastricht 1 » et « Maastricht 2 ». La technique employée sera presque systématiquement la même pour toutes les casemates : une charge creuse est déposée sur le toit des cloches de guet ou d'observation, sa détonation tuant les occupants qui ne peuvent interdire l'approche des parachutistes faute d'armes individuelles. Privés de guetteurs, les servants ne peuvent plus diriger leurs tirs et il suffit aux assaillants de placer des explosifs dans les embrasures des canons pour les faire sauter les uns après les autres. Les deux casemates sont ainsi réduites au silence en quelques minutes. Le bunker de tir est évacué et les blessés refluent dans le fort, plombant le moral des soldats belges. La procédure de défense précise que dans ce cas, des barricades de sacs de sable doivent être érigées dans les galeries pour interdire l'accès au fort. Les portes aux pieds des escaliers sont fermées et un double barrage de poutrelles et de sacs de sable termine d'en condamner l'accès.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Neutra11
En quelques minutes, les casemates Maastricht 1 et 2 sont neutralisées.

Si les Fallschirmjäger n'ont pas grand-chose à craindre des casemates, ils doivent cependant se méfier des tourelles à éclipse de 75 mm pouvant tirer des boîtes à balles, ainsi que des blocs mitrailleurs Nord et Sud. Ces mitrailleuses n'auront toutefois pas l'occasion de jouer leur rôle. À peine les servants du bloc « Mi-sud » pénètrent dans leur ouvrage que trois explosions détruisent leur armement. La position est abandonnée et un barrage de poutrelles est mis en place. Des explosifs détruisent également les mitrailleuses du bloc « Mi-nord ». Le bloc est évacué et il sera impossible de le reprendre, car les Allemands font sauter l'escalier d'accès. La coupole à éclipse Nord, disposant d'un débouché d'infanterie, est attaquée par la porte donnant sur la superstructure. Celle-ci n'est défendue que par un fusil-mitrailleur au faible angle de tir. De plus, le barrage de poutrelles obstruant l'entrée n'est pas bien solide et la porte de l'ouvrage n'est pas verrouillée. Une charge creuse permet aux Allemands de libérer le passage. Deux autres charges sont placées sur la coupole mais, grâce à sa conception stratifiée particulière, celle-ci résiste aux deux explosions successives. La destruction de la porte d'entrée provoque l'évacuation précipitée de la casemate et l'installation d'une nouvelle barricade.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Eben_l11
30 minutes après le début de l'assaut, plus de 50% des
moyens de combat du fort sont neutralisés.

Ces attaques se sont déroulées en l'espace de seulement trente minutes. À l'issue de ce laps de temps, le major Jottrand a perdu l'ensemble de ses mitrailleuses et 50 % de la capacité de riposte de ses pièces de 75 mm couvrant le massif. Il ne reste plus que « Visé 1 » et « Visé 2 », la coupole Sud et la coupole de 120 mm. Il y a donc des brèches importantes dans la défense belge. L'évacuation des postes de combat principaux signifie la perte des débouchés d'infanterie sur le massif, qui ne pourra désormais plus être atteint que par le bas de l'ouvrage. Les soldats belges envoyés pour déloger l'adversaire vont donc être fortement handicapés.
La coupole de 120 mm, grâce à sa position centrale, est théoriquement capable de prendre sous son feu l'ensemble de la superstructure. Bien qu'occupée au moment de l'attaque, elle reste muette.

Le maréchal des logis René Cremer nous livre quelques explications : « Enfin, un ordre de tir me parvient : « Tirez sur le massif, fusant, évent le plus petit possible ». Immédiatement, je donne les ordres et l'usine qu'est la coupole se met en mouvement. On monte les munitions. Premier incident : les monte-charges sont déréglés1. Deuxième incident : le déboucheur apprête son matériel et s'aperçoit que les lames de la pince ont disparu ; l'évent le plus petit au débouchoir est de 15 secondes. J'envoie immédiatement un homme à l'atelier de réparation et en attendant, on débouchera comme on le peut et on va charger les pièces. Je pointe ma coupole par visée dans l'âme du canon et c'est la rage au cœur que je constate que ma ligne de visée passe loin au-dessus de la coupole N. « Tant pis, dirai-je, je vais tirer comme cela. » Troisième incident : « maréchal des logis, il n'y a pas moyen de déclencher les contrepoids. » C'est mon brigadier van Gelooven qui me crie cela. Je place Gysens et Malchair en fonction d'observateurs au trou de lunettes et me précipite à l'étage intermédiaire. Tout semble en ordre, mais le contrepoids ne tombe pas, l'embrayage est inséparable et, malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à le séparer. Je décide alors de faire la manœuvre à la main, mais, soit que l'obus est trop lourd ou le choc pas assez fort, l'obus ne se refoule pas et redescend chaque fois avec le refouloir. Laissant continuer le travail par mon brigadier, je remonte aussitôt à l'étage de tir, car on vient m'annoncer du mouvement d'hommes sous le planeur le plus proche de la coupole. [...] Tout à coup, mouvement chez l'ennemi. Plusieurs d'entre eux se dirigent vers les emplacements de nos mitrailleuses anti-aériennes, et sous la menace de leurs armes, font sortir les hommes de l'adjudant Longdoz, qui, blessé, est lui-même du nombre. Lorsque tous les servants furent sortis de leurs emplacement de combat, les Allemands les firent marcher les bras levés et, se plaçant derrière ce bouclier vivant, progressaient dans la direction de ma coupole. J'en avise immédiatement le PC de mon officier de tir, qui me répondra « Défendez-vous comme vous le pouvez. » J'ordonne aussitôt la fermeture des culasses et l’élévation des canons, puis, avec une carabine introduite dans le logement de la lunette, m'apprête à en descendre le plus que je pourrai. Je tire sur le premier ennemi qui se trouve un peu en retrait du groupe des Belges et, l'occasion se présentant, je vise et presse la détente ; je vois mon Allemand étendre les bras et tomber la face contre terre. Les autres ne s'arrêtent même pas, au contraire, ils s'abritent mieux encore derrière nos hommes. [...] La riposte ne se fait pas attendre. Une explosion effroyable se produit dans la coupole quelques instants après : tout est renversé pêle-mêle, hommes, obus, douilles et matériel. Un homme crie qu'il est blessé et l'atmosphère devient irrespirable. Il en résulte des fuites précipitées et dégringolades dans les échelles. Une seconde explosion se produit et des flammes surgissent de haut en bas de la coupole, des bruits de ferrailles sont perçus aux étages supérieurs et intermédiaires ; de plus, on est privé de lumière. Croyant la coupole éventrée et suffoquant moi-même, je descends dans la galerie et fais placer le barrage de poutrelles au pied de l’ouvrage. L'effet moral a été terrible et nous sommes tous terrassés. [...] Le capitaine Van Der Auwera vient nous rendre visite, et par des paroles de circonstance, parviendra sans peine à rendre le moral qui s'imposait à mes servants, et l'ouvrage est aussitôt réoccupé. »

De retour à son poste de combat, le maréchal des logis Cremer se rend compte que la pièce de gauche est inutilisable. Pendant trois heures, lui et son équipe tente de réparer la pièce. Quand ils y parviennent enfin, aucun ordre de tir ne leur est donné depuis le poste directeur. Finalement, une nouvelle charge creuse explose et la coupole de 120 mm doit être évacuée.
De son côté, la coupole Sud ouvre le feu avec des boîtes à balles et parvient à tenir les Fallschirmjäger à distance. Lors de cette première phase, « Visé 1 » n'est pas attaquée. Elle a été assignée au groupe de Maier qui est porté manquant. Située dans le secteur Nord du fort, cette casemate peut arroser la superstructure. Pour sa part, « Visé 2 » ne subit aucun assaut du fait de l'orientation de ses tubes qui pointent vers le sud et ne constituent donc pas un objectif prioritaire. Les fausses coupoles, simples plaques de tôle destinées à tromper l'adversaire sur le potentiel réel de l'ouvrage, sont attaquées par les parachutistes allemands.

Il est essentiel pour les Fallschirmjäger de pénétrer rapidement à l'intérieur des ouvrages car, immédiatement après le premier assaut, est prévu un raid de Stuka. Les hommes de Witzig doivent pouvoir se réfugier dans les casemates conquises. Pour éviter d'être pris pour cibles, ils placent un panneau de reconnaissance, un drapeau à croix gammée, sur l'herbe à côté des ouvrages occupés. Les Stuka bombardent le massif du fort et les casernements aux alentours. Bien à l'abri dans les ouvrages belges, les Allemands attendent la fin des bombardements.

Les défenseurs de « Visé 1 » qui tirent sur la superstructure quittent la casemate pour se réfugier à l'étage intermédiaire. Le maréchal des logis Victor Delcourt, alors sous-officier au poste directeur de tir de « Maastricht 2 » raconte : « On a reçu une communication de « Visé 1 » disant que les hommes ne voulaient plus rester dans le local de tir et étaient descendus. Nous sommes partis vers « Visé 1 » et on a fait remonter les soldats. Je me suis retrouvé à la pièce du centre ; à la pièce de droite, il y avait un seul homme. On tirait sur les planeurs. Chaque fois qu'on ouvrait la culasse, les Allemands tiraient dans le tube. Un moment donné, une flamme est sortie d'une bouche d'aération et s'est arrêtée à 30 centimètres de mon visage. J'ai appris par la suite que l'ennemi disposait de 4 lance-flammes. J'ai reçu l'ordre de redescendre et ai été remplacé par un autre sous-officier. »

Vers 6 heures du matin, l'Oberleutnant Witzig se pose enfin sur la superstructure. Son arrivée porte le nombre d'assaillants à deux officiers et 75 hommes de troupe. Après avoir neutralisé les tubes pointés sur Maastricht et les ponts du canal Albert, il faut désormais que le groupe « Granit » facilite l'arrivée de la relève. L'Infanterie-Regiment 151 de l'Oberstleutnant Melzer doit monter à l'assaut du secteur de kanne. L'unité est appuyée par le Pionier-Bataillon (mot.) 51 de l'Oberstleutnant Hans Mikosch. Ce dernier est chargé de relever Witzig. Melzer a divisé son unité en trois groupements tactiques. Le Groupe A est placé sous les ordres de Mikosch qui dispose pour sa mission, outre sa propre unité de pionniers, des 2e et 3e bataillons du 151e régiment d’infanterie, d'une section du 1e bataillon de Nebelwerfer pour générer des écrans de fumée. Pour rejoindre les hommes de Witzig, Mikosch doit normalement passer par le pont de kanne qui a sauté. Il est ainsi considérablement retardé et Witzig craint que sa petite formation soit obligée de faire face à une sortie des assiégés très largement supérieur en nombre.

Dès son arrivée, l'Obersleutnant Witzig ordonne l'attaque des casemates assurant la défense périphérique du fort. À l'aide d'une charge creuse de 12,5 kg, les parachutistes allemands font sauter la cloche d'observation du bloc II situé à l'ouest, le long du fossé aquatique, secteur par lequel est censée arriver l'unité de Mikosch. La cloche est percée et le souffle de l'explosion provoque des dégâts importants : pour les occupants, il est impossible de fermer la porte de l'ouvrage et six blessés sont évacués vers l'hôpital. Il ne reste que six soldats et un brigadier au poste de combat. Petit à petit, les Belges se sentent réduits à l'impuissance.

Jottrand rend compte de l'état du fort à son supérieur, le colonel Modard. Il estime la force adverse à une trentaine d'hommes. Apprenant que les armes d'Eben-Emael sont inutilisables, le colonel Modard fait tirer les forts de Pontisse, de Barchon et les batteries du 20e RA, sur les positions occupées par les paras. Mais les hommes de Witzig se sont réfugiés dans les ouvrages conquis et ne subissent aucune perte. Après ce tir de saturation, Jottrand reçoit l'ordre de neutraliser les forces ennemies retranchées sur le fort. Pour cette opération, très peu de volontaires se présentent. Le lieutenant qui commande cette action fait rapidement demi-tour, estimant que sa mission ne peut être accomplie en raison des tirs d'artillerie et du bombardement. Une seconde opération de nettoyage est alors tentée avec une douzaine d'hommes. À peine sont-ils sortis, qu'une troupe s'approchant de la poterne est signalée. Le lieutenant, craignant d'être coupé de ses arrières, rebrousse aussitôt chemin. En réalité, les soldats repérés appartiennent à un peloton du 2e régiment de grenadiers, une quarantaine de soldats belges placés sous les ordres du lieutenant Wagemans.
Le peloton de Wagemans dispose de quatre fusils-mitrailleurs, mais n'a avec lui ni grenade ni lance-grenades. Wagemans demande à rencontrer Jottrand qui ne daigne pas quitter son bureau et dépêche deux lieutenants pour guider le détachement de fantassins. Il est environ 9h30. Le peloton est divisé en deux. Tandis qu'une partie s'installe en embuscade, Wagemans, les deux officiers du fort et le reste des combattants se chargent de rabattre les Allemands vers la position. Des échanges de tirs ont lieu. Blessé à la main, un des officiers du fort s'enfuit précipitamment, laissant les grenadiers livrés à eux-mêmes. Wagemans rejoint alors le reste de sa troupe et il retrouve un de ses hommes grièvement blessé. Il essaie d'avancer, mais à 19 heures, à court de munitions, demande à rentrer dans l'ouvrage. Craignant que des Allemands se soient mêlés aux grenadiers que l'on suppose prisonniers, la garnison refuse de lui ouvrir les portes. Wagemans rejoint alors ses lignes. Contrairement à ce que croient les Belges, l'échange de coups de feu du matin a provoqué des pertes chez l'ennemi et même un début de panique.
Tandis que le peloton de grenadiers progresse sur l'ouvrage, le major Jottrand ordonne une seconde sortie qui n'est pas du tout coordonnée avec Wegemans. Le capitaine Van Der Auwera essaie de repousser les parachutistes ennemis retranchés dans « Maastricht 1 », mais, dès que ses hommes aperçoivent les Allemands, ils lancent toutes leurs grenades. Une fusée d'alerte rouge est tirée par les hommes de Witzig, qui indique aux Stuka qui tournoient au-dessus du fort qu'un ennemi attaque. Les avions allemands interviennent immédiatement et mettent fin à la sortie belge. Un autre détachement sort vers 17h30, sous les ordres du lieutenant Levaque. Une heure plus tard, il rentre au fort après avoir échangé quelques coups de feu. Le capitaine Hotermans, à la tête d'une poignée d'hommes, tente une sortie. Il se dirige vers le bloc II pour y emprunter le débouché d'infanterie mais, tandis qu'il pénètre dans la galerie menant à l'ouvrage, une forte explosion retentit : une charge creuse vient de détruire le poste de combat. Hotermans craint une incursion allemande dans le fort et fait condamner l'ouvrage. Cette décision a pour conséquence d'ouvrir un vaste angle mort dans le plan de feu de la défense périphérique du côté où les pionniers de Mikosch vont déboucher dans la nuit. Jottrand remet toute sortie au lendemain.

Seule une sortie bien orchestrée, menée avec un nombre d'hommes suffisant et bien armés, aurait pu sauver le fort. Or, les défenseurs ont tenté des actions désordonnées, sans ordre précis de Jottrand. Le commandant du fort n'a pas daigné rencontrer le lieutenant Wagmans et organiser avec lui une opération de grande envergure, lorsqu'il aurait pu joindre ses hommes aux grenadiers. Ces derniers, bien entraînés, auraient pu nettoyer le massif s'ils avaient été épaulés correctement. Le major a laissé passer son ultime chance de sauver son ouvrage.
La nuit tombe et les parachutistes allemands s'installent sur la défensive. Ils commencent à ressentir l'effet de la fatigue et manquent cruellement d'eau. Les hommes de Witzig attendent impatiemment l'arrivée de la Gefechtsgruppe A de Mikosch qui aurait dû les rejoindre après trois heures de combat.
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Message par steiner61 Dim 27 Oct - 11:03

5e Partie :
L'attaque du pont de Vroenhoven

La 1re compagnie du commandant van Beneden, appartenant au 1er bataillon du 18e régiment de ligne, est chargée de la garde du pont de Vroenhoven. Elle est déployée à cheval sur la route, du côté de la rive Ouest. Son dispositif est organisé en deux échelons successifs. Hormis trois abris bétonnés, les hommes de van Beneden disposent de trois canons antichars de 47 mm, de deux mitrailleuses antiaériennes, de quatre fusils-mitrailleurs et d'un mortier de 76 mm. Le blockhaus central, dénommé « abri M », est tenu par un sergent et dix hommes du bataillon cycliste-frontière du Limbourg. Ces derniers sont chargés de la mise à feu des charges explosives placées sur les deux piles principales du pont. Ils sont alertés à 0h30, mais l'officier de permanence, le commandant Giddeloo, estime qu'il n'y a pas d'urgence à faire sauter le pont. Des éléments Cointet2 sont placés en travers de la route, et tous les hommes gagnent leur poste.

Vers 3h45, les 11 planeurs du groupe « Beton » se posent de part et d'autre du canal, en plein cœur du dispositif belge. Sept planeurs atterrissent sur la rive occidentale, trois sur la rive orientale et le dernier loin derrière le périmètre ennemi. Les défenseurs ne sont pas parvenus à identifier la nationalité des appareils à temps. L'effet de surprise est total.

Le rapport du major Defraiteur, qui s'appuie sur le témoignage du cycliste Dreessen, nous raconte le déroulement des événements : « La garnison avait pris position dans l'abri dès l'ordre d'alerte. Elle se composait d'un caporal et de quatre hommes ; le sergent Krauwels, chef de poste attitré, se trouvant en congé dans le village de Vroenhoven. Une sentinelle se tenait sur le pont et une autre à la porte de l'abri.
Vers 4 heures, l’atterrissage de planeurs et de parachutistes attire tout le personnel hors de l'abri et l'on se met à tirer sur eux. L'attention de la garnison est ainsi attirée entièrement par le danger aérien qui s'accentue par l'arrivée de nombreux avions. Le chef de poste ne semble pas penser à faire sauter le pont, pas plus que les officiers d'infanterie dont le PC se trouve à 50 mètres de l'abri. Les bombes d'avions se mettent à pleuvoir lorsque le sergent Krauwels arrive à l'abri, fait rentrer ses hommes, et les met à leurs postes de combat (FM sous cloche, canon AC de.47mm, projecteur).

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: The_at11

Le fusil-mitrailleur ouvre le feu sur les parachutistes allemands qui se présentent sur le pont venant de l'est. À ce moment, le sergent Krauwels téléphone au commandant Giddeloo à Lanaken, lui fait part de ses impressions et demande des ordres. Giddeloo lui dit qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, qu'il ne se passe rien et qu'il envoie un motocycliste sur place pour s'enquérir des événements réels. Krauwels patiente encore quelques instants ; pendant ce temps, les bombes continuent à tomber : le commandant van Beneden et son lieutenant sont tués. Les soldats du 18e régiment réagissent faiblement contre les parachutistes, car on entend peu de tirs d'infanterie. Vers 4h20, le sergent Krauwels prend la décision de faire sauter le pont. Il en avertit son personnel et lui enjoint de descendre dans la cave de l'abri. Il reste seul avec son caporal et le soldat Dreessen voit qu'il prépare la mèche de mise à feu. Dreessen est le dernier des hommes entrés dans la cave ; il suit son chef des yeux. Subitement, une explosion se produit dans la partie de l'abri contenant le canon de 47 mm. L'abri est envahi par des flammes et une fumée intense. Krauwels et le caporal ont été tués sur le coup ; les soldats sont tous brûlés et s'évanouissent. Dans la soirée, Dreessen est retiré de l'abri par des Allemands et transporté à l'hôpital de Maastricht ».

Le reste des défenseurs est rapidement submergé. Les points d'appui du premier échelon succombent rapidement. Vers 5h30, c'est au tour du second échelon de cesser le combat. Les parachutistes s'emparent du pont de Vroenhoven intact, mais déplorent sept pertes. À 11 heures, ils sont relevés par les hommes de la 4. Panzer-Division. Le commandant de la 7e division d'infanterie belge ordonne une contre-attaque pour reprendre le pont, mais celle-ci échoue.


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Message par steiner61 Dim 27 Oct - 11:06

6e Partie :
L'attaque du pont de Veldwezelt

Le pont de Veldwezelt est défendu par la 6e compagnie du 2e régiment de carabiniers, sous les ordres du commandant Jammaers. Le dispositif est organisé en deux échelons : deux points d'appui sur les rives occidentales du canal et un troisième légèrement en retrait sur la route de Maastricht-Hasselt. Jammaers dispose de deux canons AC de 47 mm, de deux mitrailleuses antiaériennes et de quatre fusils-mitrailleurs.
Les neuf planeurs du groupe « Stahl », commandé par l'Hauptmann Koch en personne, fondent sur leur cible. Trois appareils se posent au nord, cinq au sud et un dernier un peu plus loin. Dès l’atterrissage, les parachutistes se ruent vers leurs objectifs. Les Belges sont pris au dépourvu, et ils n'ouvrent le feu qu'après une brève hésitation.

Le sergent Nierinck témoigne : « Un des planeurs fonce sur notre petit groupe et nous n'avons que le temps de nous jeter au sol pour éviter d'être décapités. Ma place est près de l'équipe FM. Je me précipite vers la barbette où je retrouve le caporal Depauw, le tireur Willems et le premier fournisseur Deleu. L'autre équipe se trouve là où le planeur s'est immobilisé. Je bondis avec le caporal Depauw sur la caissette de munitions et nous donnons les chargeurs à Willems qui demande ce qu'il doit faire : « Faut-il tirer, sergent ? Oui ou non ? » Pour moi, il s'agit à coup sûr d'Allemands qui nous tombent du ciel et je commande en conséquence : « Feu à volonté ! » sur le planeur et son pilote que nous voyons très bien, essayant de se dégager de son appareil. Willems réussit à tirer deux cartouches, puis plus rien ! La pièce est déjà enrayée. J'arrache le mauvais chargeur et en passe un autre. Hélas ! Pas plus de succès : la pièce ne tire pas ; il faudra la régler, et c'est bien le moment ! Pendant que Willems règle la chambre du FM, je mets en joue le pilote qui se trouve à 20 mètres. Je devrais certainement l'abattre, mais mon fusil ne tire pas. J'essaye deux, trois, quatre fois... Rien à faire. Même insuccès avec un autre chargeur. Le caporal Depauw a plus de chance et blesse le pilote au bras. Mais Depauw a tiré trois fois et son arme est enrayée elle aussi ! La situation est d'autant plus terrible que nous somme à présent parfaitement repérés, et nous encaissons la première série de quinze grenades qui tombent autour et sur nous en l'espace de trente minutes. Durant une demi-heure, tantôt sur le ventre, tantôt à genoux, plongeant à droite et à gauche, nos quatre corps parfois superposés, les yeux fous, nous encaissons les terribles grenades que nous envoient les occupants des planeurs avec une étonnante précision. Nos positions sont maintenant occupées par les assaillants. À un moment donné, nous entendons d'autres éclatements dans notre propre tranchée, suivis de cris, d'appels, de plaintes et de hurlements qui n'ont plus rien d'humain. Ce sont probablement nos pauvres compagnons de l'autre équipe que l'on exécute... »

Comme celui de Voenhoven, le pont de Veldwezelt a été miné. Un abri à deux étages caché sous l'un des appuis du pont commande le dispositif de mise à feu. Il possède quatre mitrailleuses Maxim, deux lourdes en bas et deux légères au-dessus, ainsi qu'un bloc fusil-mitrailleur doté de deux lance-grenades. Les portes d'accès à l'abri ne sont pas blindées. L'ouvrage est défendu par des hommes appartenant à un bataillon cycliste-frontière du Limbourg et sous les ordres du lieutenant Boijen.

Dans son rapport, le major Defraiteur s'appuie sur le témoignage du soldat Vranken, le seul survivant de l'attaque du poste par les parachutistes allemands, pour décrire les événements : « Vers 4 heures, nous avons été surpris par des survols d'avions qui lâchèrent de nombreux parachutistes et par l’atterrissage de planeurs dont l'un se pose à une centaine de mètres au nord-ouest du pont et l'autre à courte distance de l'abri, au sud de celui-ci. Le chef de poste nous fit immédiatement entrer dans l'abri et le fusil-mitrailleur sous cloche fut mis en action. Malheureusement, si le champ de tir était bien dégagé vers l'est, il n'en était pas de même vers l'ouest, car des maisons y gênaient le tir et permettaient aux Allemands de se mettre à couvert en s'approchant de notre abri. Nous étions immédiatement l'objet d'une attaque contre laquelle nous avons agi avec le FM et par des grenades lancées dans les gaines. Dès qu'il était entré dans l'abri et en avait fermé les issues, le chef de poste avait téléphoné au commandant Giddeloo à Lanaken pour l'avertir de la situation et lui demander s'il fallait faire sauter le pont. Le commandant Giddeloo répondit : « Vous êtes des froussards ! Il n'y a rien du tout, je n'entends d'ailleurs rien. » Le gradé insistant, le commandant ajoute : « Je vous envoie un gradé motocycliste qui se rendra compte sur place et vous donnera des instructions. » Tout ceci s'est déroulé en quelques minutes. Pendant que le combat continuait, nous entendions les explosions des bombes sur le village.
Au bout d'une dizaine de minutes, ne voyant pas arriver le motocycliste annoncé, le chef de poste téléphona une nouvelle fois et eut le médecin au bout du fil ; celui-ci confirma le départ du motocycliste. Cinq minutes plus tard, voyant les progrès de l'ennemi et son poste dangereusement menacé, le gradé téléphona une troisième fois à Lanaken et il reçut cette fois la réponse : « Faites sauter le pont. » N'ayant pas demandé l’identité de son interlocuteur, ni reconnu sa voix, le gradé hésita quelques instants encore. Toutefois, il prit la décision d'agir et ordonna à son personnel (augmenté de six carabiniers qui s'étaient réfugiés dans l'abri dès le début) de descendre dans la cave, annonçant qu'il allait faire sauter le pont.

Un certain désordre se produisit dans l'abri surpeuplé, quelques hommes tentant d'ouvrir la porte pour se sauver ; le chef de poste dut intervenir en les menaçant de son revolver, ce qui lui fit perdre des instants précieux. Le gradé prépara sa mèche lorsque, subitement, l'abri fut envahi par la fumée et les flammes d'une violente explosion. La paille, les caisses à munitions prirent feu ; les vêtements des soldats s'enflammèrent. Une seconde explosion se produisit du côté de la porte. Trois hommes parvinrent à sortir de la cave, gravirent les quelques marches de l'escalier et trouvèrent la porte ouverte, arrachée de ses gonds. L'un d'eux était Vranken. Ils furent tous trois abattus dès qu'ils sortirent de l'abri : deux furent tués, Vranken fut blessé de neuf balles et s'évanouit. »

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Prise_10

Les Allemands s'emparent du pont de Veldwezelt intact. Durant l'assaut, huit hommes ont été tués et 28 blessés. Les pertes belges sont bien plus importantes avec 115 morts. Le détachement d'assaut allemand est relevé par la 4. Panzer-Division dans la journée et quitte les lieux vers 20h30.


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Message par steiner61 Dim 27 Oct - 12:11

7e Partie :
La bataille du pont de kanne

Bâti à une centaine de mètres des berges, le pont de kanne est solidement défendu par le 2e régiment de grenadiers. Du côté belge, positionnée sur une colline abrupte, une casemate prend le pont en enfilade. Elle est appuyée par deux autres blockhaus situés sur les berges, de part et d'autre de la route débouchant du pont. Derrière ces trois positions et sur les bords de la crête, une tranchée abrite un canon de 47 mm et trois mitrailleuses, interdisant les approches de l'ouvrage.

Face à la solidité du dispositif belge, les dix planeurs du groupe « Eisen » n'ont pas d'autre choix que de tenter de se poser loin derrière, sur les bords du plateau, et de prendre les défenseurs à revers. Les parachutistes se trouvent donc relativement loin de leur objectif. Ils comptent sur l'effet de surprise pour réussir leur mission. Mais cet élément ne jouera pas, car l'attaque se déroule à 4h30, soit quinze minutes après celle de Vroenhoven, dix minutes après l'assaut de Veldwezelt et cinq minutes après l'attaque du fort d'Eben-Emael. Le major Jottrand, responsable de la défense du pont placé dans son secteur, a ainsi le temps de donner l'ordre de destruction. Au moment où les planeurs plongent sur leur cible, le pont est détruit. Les Fallschirmjäger sont reçus par un feu d'enfer. L'un des planeurs est touché en plein vol et réussit néanmoins à se poser à l'endroit prévu, mais plusieurs membres de l'équipage sont blessés. Le pont ayant sauté, le commandant du groupe « Eisen », le Leutnant Schächter, décide de prendre la tranchée sur la crête afin de faciliter l'arrivée de renforts. Les Allemands parviennent à s'emparer de la position belge et font prisonniers 25 défenseurs. Schächter est blessé lors de l'attaque. Les trois abris bétonnés résistent encore et vont gêner considérablement les tentatives de Mikosch.

Vers 5h10, 25 Fallschirmjäger sont parachutés en renfort. Ils tombent 500 mètres trop à l'ouest et essuient le feu des défenseurs. Le bilan est lourd : 14 hommes sont tués et huit blessés. Seuls trois hommes réussissent à rejoindre Schächter.
Les belges lancent plusieurs contre-attaques afin d'éliminer les assaillants. Une première attaque est menée par la 11e compagnie du 11e régiment de ligne qui échoue lamentablement. Une seconde attaque est exécutée par le 11e bataillon du 2e régiment de grenadiers., sans plus de succès.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Le_pon11
Le pont de Kanne, le 11 Mai.[/center]

La destruction du pont de kanne accroît le retard des pionniers. Au petit matin du 10 mai, la Gefechtsgruppe « Mikosch » se trouve à l'entrée de Maastricht. Il est prévu qu'elle se détache de la 4. Panzer-Division pour se diriger vers kanne. À son arrivée vers 8 heures, l'avant-garde allemande constate la destruction du pont. Le commandant de la 4. Panzer-Division décide alors de porter son effort principal en direction des ouvrages pris intacts. La priorité est donc donnée à l'axe de Maastricht, donc aux unités assignées aux secteurs de Vroenhoven et de Veldwezelt.

La Gefechtsgruppe « Mikosch » est considérablement retardée par la destruction des ponts de Maastricht. Des pontons doivent être construits pour faire passer le matériel. Les obstacles dressés sur la route par l'Armée hollandaise retardent davantage les hommes de Mikosch, les obligeant à de nombreux détours. Le détachement arrive enfin devant le pont de kanne aux alentours de 15 heures. Mikosch se rend alors compte de la situation : le pont est détruit et la tête de pont des parachutistes est minuscule. Les Belges dominent la situation et les parachutistes sont cloués sur place.
L'Oberstleutnant Mikosch rassemble la première moitié de ses pionniers et lance une attaque qui échoue.

Après un pilonnage d'artillerie, un rideau de fumigène est créé par les Nebelwerfer puis, à 17h15, les fantassins de l'Infanterie-Regiment 151 du Major Driedger s'élancent pour franchir le canal en canots pneumatiques et élargir la tête de pont. Les Landser sont arrêtés net par les grenadiers appuyés par les tirs du 20e régiment d'artillerie. Après 19h30, l'Infanterie-Regiment 151 tente un second franchissement sans plus de succès.
L'état-major belge a ordonné de reprendre les berges du canal à n'importe quel prix. La 7e division du lieutenant-général van Trooyen n'a aucune réserve pour contre-attaquer, tant son dispositif est étendu. Vers 6h30, le 1er corps accepte de mettre à la disposition du général le 1er bataillon du 11e régiment de ligne, son unique réserve. L'état-major général donne son aval vers 10h30 pour que le bataillon cycliste-frontière du Limbourg soit engagé. Vers 16 heures, il décide de lui envoyer également le 2e régiment de lanciers. Mais le déplacement de ces unités prend trop de temps et le général van Trooyen, ne pouvant attendre, contre-attaque dans la soirée avec de trop faibles moyens et ne parvient pas à rétablir la situation.


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Message par steiner61 Dim 27 Oct - 12:33

8e Partie :
La chute du fort d'Eben-Emael

Vers 23 heures, profitant de l'obscurité et d'un écran de fumée, Mikosch parvient enfin à traverser à l'extrémité Nord de la tranchée de Caster. Ce secteur est dépourvu de positions défensives, mais il est surplombé par l'autre rive d'une soixantaine de mètres. Cette portion de canal est couverte par le bloc « Canal-nord » dépendant d'Eben-Emael. Au cours de la journée du 10 mai, les parachutistes de Witzig ne sont pas parvenus à le détruire ni même à l'aveugler. Au moment où les troupes de Mikosch s'élancent à l'assaut, les Belges tentent de les empêcher de traverser le canal par des tirs de barrage intermittents exécutés dès la tombée du jour par des batteries de campagne ainsi que par des tirs provenant du bloc « Canal-nord ». Les mitrailleuses du bunker réussissent à refouler les pionniers qui tentent de traverser en canots pneumatiques. Le groupe « Granit » parvient enfin à aveugler l'observateur du bloc en provoquant des éboulements de pierres à l'aide d'explosifs. L’efficacité des mitrailleuses du bloc est alors réduite.

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Wfz-1810
A plusieurs reprises, les hommes du 51e bataillon de pionniers, tente de franchir le canal en canots pneumatiques.

Toute la nuit, Mikosch s'efforce de faire franchir le canal à ses unités. Le matin du 11 mai, vers 5 heures, le Feldwebel Porsteffen est le premier à traverser en canot pneumatique le fossé aquatique qui n'est plus défendu par le bloc II, ce dernier ayant été évacué la veille au soir. Les hommes de Witzig accueillent avec soulagement les hommes du Pionier-Bataillon (mot.) 51. Le brouillard du petit matin permet à la Panzerabwehr-Abteilung 161 de déployer ses pièces antichars autour du fort. Elles commencent immédiatement à tirer sur les embrasures des blocs périphériques, et notamment la poterne du bloc I. Cette porte constitue la dernière voie de sortie pour la garnison du fort. Les soldats belges ne peuvent désormais plus sortir du fort pour attaquer les envahisseurs retranchés sur le massif. Les Pionniers de Mikosch terminent la destruction des dernières casemates. Ils vont même jusqu'à descendre les escaliers qui mènent aux barrages de poutrelles à l'étage intermédiaire et font exploser leurs charges. L'une d'elles éclate au pied de la cage d'ascenseur de « Maastricht 1 » et renverse cinq fûts contenant du chlorure de chaux destinés à la morgue pour traiter les dépouilles. Cet accident donne le coup de grâce à la garnison. L'air devient irrespirable.
Face à la gravité de la situation, le major Jottrand réunit un conseil de défense pour décider la reddition du fort. Au cours de la séance, Jottrand expose les faits : « l'atmosphère des galeries est irrespirable par suite de la fumée et des vapeurs de chlore. La ventilation est insuffisante. La poterne est sous le feu des canons de 3,7 cm dont les projectiles arrivent dans le porche ; la caserne est encombrée d'hommes dont le moral est très mauvais ; l'infirmerie est débordée et l'on entend des travaux de sape ; l'ennemi est maître du massif d'où il n'a pu être délogé et aucun secours ne peut plus être espéré à cette fin. L'ennemi s'est infiltré dans le fort où il s'est manifesté par de nombreuses explosions qui refoulent la garnison dans la caserne. »

À l'issue du conseil, il est décidé de négocier l'évacuation des blessés et de demander les conditions de reddition à l'ennemi. Un officier est désigné pour sortir avec un porteur de drapeau blanc et un clairon. Le pont est alors lancé sur le fossé devant l'entrée. Tandis que les trois hommes s'avancent au-devant des Allemands, un grand nombre de défenseurs se précipitent derrière eux les bras levés.
Plus aucune négociation n'est possible. Après trente-six heures de combat, le fort d'Eben-Emael tombe aux mains des Allemands, au prix de 24 morts et d’une cinquantaine de blessés coté Belge et 6 tués et 15 blessés sur les 85 hommes du groupe « Granit ».

Récit : La chute du fort d'Eben-emael: Les_ho11
Une partie des hommes du groupe "Granit".

Avec la chut du fort d’Eben-Emael, c’est tout le front du canal Albert qui s’effondre, obligeant l'état-major belge à abandonner Liège et à se replier sur sa seconde ligne de défense, la ligne « K.W. », où l'on envisage de livrer la bataille décisive avec l'aide des armées franco-britanniques.
Celles-ci ont commencées à franchir la frontière Belge, dans la matinée du 10 Mai mettant en application le plan Dyle-Breda. Coté allié, nul ne se doute que l’attaque principale Allemande a commencé plus au Sud, face au Luxembourg et finira 3 semaines plus tard, sur les plages de Dunkerque.
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